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Salon “Cuisinez by M6”

Les Français de retour derrière les fourneaux

Une foule de cuisiniers amateurs a bravé la pluie pour se rendre au Salon Cuisinez by M6 en ce samedi midi. 50 000 visiteurs sont en effet attendus du 18 au 21 Octobre à la Porte de Versailles à Paris, pour cet évènement culinaire organisé par la chaîne. Les 18 euros du billet d’entrée n’ont pas découragé les visiteurs qui font patiemment la queue sous leurs parapluies. Dès les portes franchies, une bonne odeur de cuisine se fait sentir dans les allées très animées. Il faut jouer des coudes pour apercevoir Tabata, une ancienne candidate de Top Chef qui dédicace son livre. Entre ateliers culinaires, démonstrations de chefs, matériel de cuisine et produits régionaux, les visiteurs ont l’embarras du choix. Après trois saisons, le succès de l’émission culinaire de M6 ne se dément pas, et l’affluence en ce samedi semble confirmer l’ampleur de ce phénomène médiatique. Dans un pays où « cuisine » rime souvent avec patrimoine et tradition, les français seraient-ils en train de changer leurs pratiques ?

A en croire la moyenne d’âge dans les allées en ce samedi, la cuisine a en tout cas de l’avenir. Des enfants déambulent avec leur toque en papier sur la tête après leur participation à l’atelier « mômes en cuisines », et la moyenne d’âge générale est jeune. Beaucoup sont venus pour voir les chefs en chair et en os, comme Nadège, 25 ans, qui patiente pour s’inscrire à un atelier et se dit « fan de cuisine et d’émissions culinaires ». Au stand dédicaces, c’est la cohue. Le jeune Ruben Sarfati, ancien candidat des émissions Un Dîner Presque Parfait et Top Chef signe son livre de cuisine et se fait prendre en photo avec ses fans. A 19 ans, l’émission lui a  permis de se professionnaliser rapidement, et d’être très sollicité en tant que chef à domicile : un parcours qui en fait rêver beaucoup. Hervé, médecin, est lui venu avec sa fille de 9 ans qui passe un concours de cuisine. « Elle fait partie des six finalistes des Mini Top Chefs » déclare le papa, « si elle veut en faire son métier, pourquoi pas, mais il faut d’abord qu’elle réussisse au collège. »

Des enfants participant à un atelier « mômes en cuisine »

Les parents sont en effet conscients de l’attrait engendré par les émissions culinaires sur les jeunes. Devant l’amphi Top Chef, Dominique, Boulanger-Pâtissier, observe avec attention les gestes du chef Philippe Conticini qui réalise une salade de fruits baptisée « explosion d’agrumes ». Venu pour observer les tendances, il se renseigne pour son fils qui est en Bac pro boulangerie pâtisserie. « Je ne suis pas un fou des émissions de cuisine, mais elles ont un effet très positif sur le métier. » déclare le père de famille. « Avant, quand on était en échec scolaire, on vous disait ‘tu vas faire boulanger ou boucher’, aujourd’hui, grâce à ce phénomène, les métiers de bouche ont une meilleure image et  les gens qui se lancent dans cette voie ont vraiment envie d’être là.»  Mais attention à l’effet médiatique : « Beaucoup pensent vouloir faire ça mais arrêtent assez vite car dans ces métiers là, il faut en baver pour réussir. » Autour de lui, la foule compacte observe le chef Conticini mettre la touche finale à son dessert  : «  un peu de yuzu*, c’est comme un uppercut sur le palais» explique le chef de La Pâtisserie des Rêves.

Si l’hypermédiatisation de la cuisine a eu pour effet de mettre les enfants aux fourneaux et de fidéliser une audience jeune, les pratiques quotidiennes des Français ne sont pas pour autant bouleversées. Même sur la toile, 90% des blogs culinaires restent féminins peut-on entendre sur le forum « les garçons cuisinent à la maison ».  Autour de la table, le blogueur culinaire Dorian, un chef américain et le co-fondateur du site Marmiton discutent de la cuisine au masculin devant une trentaine de personnes.  A la question « Pourquoi les chefs sont-ils plus souvent des hommes que des femmes ? » les intervenants répondent que la cuisine reste majoritairement féminine dans la sphère domestique et masculine dans la sphère professionnelle. Christophe Duhamel, co-fondateur du site Marmiton, déclare qu’il existe encore « un petit côté machiste, une peur d’être trop féminisé » dans la relation des hommes à la cuisine domestique. Une appréhension qui selon lui semble cependant diminuer chez les hommes de moins de 35 ans. Dans les allées du salon, les hommes jeunes sont en effet plus nombreux que leurs aînés à se déclarer cuisiniers. Une évolution sociale progressive donc, que cette mode de la cuisine favorise, mais que certains visiteurs attribuent cependant à un autre facteur.

« Avec la crise, je pense qu’il y a une sorte de mouvance ‘cocon’, de repli vers le foyer » analyse Isabelle, 51 ans. Tout sourire, elle ne cache pas son engouement pour cette « mode » culinaire : « je cuisine plus, cela me donne quelques idées de recettes », mais selon elle cet engouement national est un symptôme de la situation économique. Derrière elle, entre un stand de fromages basques et un étal d’épices qui parfument l’air d’odeurs exotiques, une femme interpelle son mari « c’est bon ça suffit, on n’est pas venus pour acheter ! » Dans un climat économique tendu, cuisiner n’est pas toujours bon marché mais « c’est un loisir simple et rassurant », estime Carole, institutrice de 45 ans. Une tendance que les chaînes de télévision ont bien compris. « C’est en France qu’on mange le mieux » affirme Laureen, une étudiante de 24 ans qui apprécie ce retour en force du patrimoine culinaire français pour « contrer la malbouffe ». Retour aux valeurs familiales, redécouverte du patrimoine national, la crise semble avoir engendré mouvement réactionnaire de repli vers les fourneaux. Le phénomène médiatique surfe clairement sur cette vague de retour au traditionnel et attire les jeunes. Mais comme le déclare Carole, sourire en coin : « Tout ça, c’est loin d’être révolutionnaire.»